Égalité et diversité, de quoi parle-t-on ?

Égalité

« Par égalité des sexes, on entend l’objectif consistant à ce que les femmes et les hommes et les garçons et les filles bénéficient de l’égalité des droits, des responsabilités et des chances. L’égalité ne signifie pas que femmes et hommes deviendront analogues, mais que leurs droits, leurs responsabilités et leurs chances ne dépendront pas du fait d’être né homme ou femme. »

Nations Unies, ONU Femmes, 2008

Nous préférerons ici parler de « genre » (socialement construit) plutôt que de « sexe » (biologique). La quête vers plus d’égalité entre les genres se place alors aussi bien dans le cadre professionnel (salaires, conditions de travail, harcèlement), que familial (charge mentale, répartition du travail domestique, soin des enfants) et social (stéréotypes de genre).

Diversité

En matière de diversité, nous choisirons d’employer le terme suivant : « personne issue de la diversité d’origine ».  On rencontre également de plus en plus souvent l’expression « personne racisée ». Une personne racisée « appartient, de manière réelle ou supposée, à un des groupes ayant subi un processus de racisation. La racisation est un processus politique, social et mental d’altérisation » (Alexandra Pierre, “Mots choisis pour réfléchir au racisme et à l’anti-racisme”, Droits et libertés, vol.35, n°2, 2016). La diversité ne se limite pas à la notion d’origine ethnique ou culturelle, elle renvoie à la multitude de profils d’une société (en termes de genre, race, classe, âge, handicap…).

Des médias plus égalitaires et plus diversifiés :
pourquoi faire ? 

Outre la diversité des contenus produits, il est essentiel de se préoccuper de la diversité de celles et ceux qui les produisent.

Avoir accès à d’autres profils et d’autres points de vue  – ceux des femmes, des personnes issues de la diversité d’origine, des personnes LGBTQIA+, des personnes handicapées, des personnes issues de différentes classes sociales et différentes générations – c’est avoir accès à une actualité plus complète, à un meilleur journalisme, et donc, à une représentation plus juste de la société que l’on souhaite dépeindre. Il s’agit de replacer le journalisme dans une perspective de construction d’une société plus égalitaire, plus juste, plus inclusive et plus solidaire.

Au-delà de la lutte contre les discriminations, un recrutement qui laisse aussi la place aux femmes, aux personnes issues de la diversité d’origine, aux diverses générations d’âge et milieux sociaux, permet de bâtir une rédaction mieux informée et plus égalitaire, ainsi que les conditions nécessaire pour garder ou toucher une audience étendue.


Égalité, diversité, intersectionnalité

Se questionner sur le genre en information, c’est travailler notamment sur les stéréotypes sexistes présents dans les médias. Néanmoins, le genre n’est qu’un élément parmi d’autres dans les différentes définitions de la « diversité », il s’agit donc d’une variable qui peut croiser, recouper, d’autres variables.

Le concept d’intersectionnalité a été théorisé par la juriste et chercheuse afro-américaine Kimberlé Crenshaw. Pour la décrire, elle a utilisé l’image du carrefour routier : la discrimination, comme la circulation, peut venir d’une direction comme de l’autre. Une personne peut ainsi se trouver au croisement de plusieurs discriminations. On parle aussi « d’imbrication des discriminations ». C’est le cas par exemple pour une femme noire qui subit à la fois de la discrimination sexuelle et de la discrimination raciale. Il en va de même pour les autres discriminations liées au handicap, à la classe sociale, à l’orientation sexuelle, à l’âge, etc. L’intersectionnalité nous rappelle de penser les discriminations de manière combinée et d’être ainsi plus attentif·ve·s à certains groupes socio-culturels, par exemple les femmes issues de la diversité d’origine dans les médias.

L’intersectionnalité nous offre un meilleur accès à la complexité du monde et de nos identités.” 

Patricia Hill Collins et Sirma Bilge, Intersectionality (Polity Press, 2016)

Comment appliquer le concept d’intersectionnalité
à nos pratiques journalistiques ?

Se décentrer

Surtout si on n’appartient pas à un groupe minorisé : laisser la place aux personnes concernées et/ou devenir le vecteur de leur parole

Pratiquer une éthique du care

Tenir compte des conséquences possibles des articles sur les groupes minorisés concernés et les protéger

Co-construire les articles

Ne pas parler « sur » ni parler « de », mais parler « avec » 

Mobiliser la genèse

Mobiliser la genèse, le contexte historique et social ainsi que les enjeux politiques de ces thématiques

Faire attention au vocabulaire

Nommer les choses correctement ; pour cela, vous pouvez vous référer aux lexiques et glossaires présents dans la partie M’outiller

Diversifier votre carnet d’adresses

Diversifier votre carnet d’adresses ; référez-vous à notre base de données Expertalia

S’éduquer

Rester au courant des évolutions notamment dans l’emploi des mots, travailler sa culture générale et son ouverture d’esprit 

Se déconstruire

Être conscient·e de là où l’on parle et des biais que cela implique

> “De l’exclusion à la solidarité : regards intersectionnels sur les médias”

Qui est neutre ?

La neutralité, ou encore l’objectivité, restent des concepts majoritairement enseignés dans les formations de journalisme. Pourtant, aujourd’hui, si l’on ne prétend pas vouloir la supprimer à tout prix, la neutralité journalistique mérite tout de même d’être questionnée.

Qu’est-ce que la neutralité journalistique ? Est-elle possible et/ou souhaitable ? Qui peut – et qui ne peut pas – être neutre ?

L’objectivité journalistique serait la totale correspondance d’une information avec la réalité sur laquelle l’information porte. Un mythe entoure alors la profession de journaliste : on serait capable d’être tout à fait objectif·ve. Pour être un·e bon·ne journaliste, il faudrait alors impérativement rester rationnel·le, être un·e observateur·rice naïf·ve et impuissant·e. Cette croyance est liée au concept d’équilibre et de neutralité journalistique.

Cette notion de neutralité reste à questionner. Gilles Gauthier, docteur en philosophie du langage et professeur au département d’information et de communication de l’Université du Québec, écrivait déjà il y a plus de 20 ans :

« L’objectivité serait à récuser du fait que ce qui constitue le journaliste en tant que personne humaine, à la limite comme individu spécifique et unique, soit son origine familiale, son appartenance sociale, son éducation, ses expériences de toute sorte (rencontres, lectures, voyages, etc.) et, sur un plan plus abstrait, ses valeurs et ses attitudes fondamentales interviennent toujours, d’une façon ou d’une autre, dans sa couverture des faits. »

Gauthier G. (1991), La mise en cause de l’objectivité journalistique, Communication. Information Médias Théories, 12(2), pp. 80-115

Vu le portrait type du journaliste belge francophone – un homme blanc de 35-49 ans, belge, universitaire et issu d’un milieu aisé –, on peut en déduire que, bien souvent, l’expérience masculine blanche est érigée en règle universelle. Cette norme fixe alors les standards de neutralité et d’objectivité. Pourtant, comme toutes les autres, l’expérience masculine blanche est située :

« La blanchité, comme le masculin, est un faux neutre. Un point de vue qu’on présuppose objectif alors qu’il est, comme tout point de vue, fait de biais et d’imprégnations culturelles inconscientes. »

Lauren Bastides, Présentes, p. 104

Cela fait référence à la théorie des points de vue situés – ou standpoint theory – développée notamment par Sandra Harding. Penser que l’on peut échapper à un point de vue situé lorsqu’on écrit un article, c’est estimer que tout le monde est capable d’apporter la même perspective, les mêmes informations sur une histoire. Or, écrire une histoire, faire un billet radiophonique ou un direct à la télévision implique nécessairement de faire des choix. C’est décider de parler d’une chose plutôt que d’une autre, d’adopter tel ou tel angle, d’interviewer telle ou telle personne, etc. Tous ces choix influencent la façon de restituer l’information qui devient donc, elle aussi, située. Elle est, en partie, le reflet d’un point de vue.

L’une des recommandations que l’on pourrait formuler à l’intention des futur·e·s journalistes est de se
« décentrer ». Il faut céder la place aux points de vue et aux analyses de celles et ceux à qui vous donnez la parole (femmes, personnes issues de la diversité d’origine, personnes handicapées, etc.) Privilégiez un journalisme constructif et tourné vers l’action afin de favoriser l’empowerment des groupes minorisés, leur visibilité et prise de parole, leur agentivité et le changement social.

Et dans nos rédactions ?

Plus de 6 journalistes professionnels sur 10 sont des hommes. En 2013, nous dressions déjà le portrait type du journaliste Belge : il s’agit d’un individu masculin, entre 35 et 49 ans, d’origine Belge et dont les parents sont Belges, issu d’un milieu plutôt aisé.

Cinq ans plus tard, l’étude Être femme et journaliste en Belgique francophone ne constate pas vraiment de progrès. Les femmes ont beau être davantage diplômées que les hommes, elles sont toujours moins nombreuses dans les rédactions, elles sont sous-représentées dans les positions hiérarchiques supérieures, elles subissent toujours un déséquilibre salarial, elles sont toujours cantonnées à certaines rubriques dites « féminines », etc. Par ailleurs, elles ont plus souvent été confrontées à des formes de discrimination et/ou d’intimidation dans le cadre de leur métier, en raison de leur genre la plupart du temps.

Cette situation de quasi-monopole empêche les personnes minorisées de se faire une place dans la profession.

Plusieurs penseuses et journalistes estiment ainsi que cet entre-soi influence les contenus médiatiques eux-mêmes et amène à une perte de diversité au sein de l’information produite et rapportée. Les hommes sont ainsi les sources et les objets de l’actualité.

“Des rédactions dirigées par des hommes entraînent des rédactions composées d’hommes qui interviewent en majorité des hommes.”

Lauren Bastide, Présentes, p.117

“La diversité des rédactions n’est pas un objectif vertueux. Elle est la condition d’un meilleur exercice du métier. Dit autrement, l’absence totale de diversité des parcours, des couleurs de peau, rend déficitaire le récit français de l’actualité.”

Alice Coffin, Le Génie Lesbien, p.56

Le vécu et le positionnement d’un·e journaliste ne l’exempte donc pas de faire son travail avec rigueur et sérieux, mais il est nécessaire de varier les points de vue, et donc, de varier les journalistes.

L’écriture inclusive, pourquoi, comment ?

La lutte contre les discriminations passe aussi par le langage. L’écriture inclusive a pour but de rendre les femmes visibles dans la société. Leur présence passe alors par le fait de les nommer : les femmes sont aussi des cheffes d’entreprises, des clientes, des chercheuses, des habitantes, des téléspectatrices, etc. Les omettre, c’est véhiculer des stéréotypes, c’est donner l’image d’un monde masculin, c’est invisibiliser la moitié de la société.

De plus, si les femmes ne se retrouvent pas dans les médias, elles ne les consulteront pas, ou peu. Valoriser la présence des femmes, c’est aussi élargir son public.

Pour rendre la langue plus inclusive, la méthode que l’on voit de plus en plus se développer est le point médian. Celui-ci permet d’accoler les deux suffixes, masculin et féminin, à la racine d’un mot. Par exemple, au lieu d’évoquer « les auteurs » pour désigner des auteurs et des autrices, on peut alors écrire « des auteur·rice·s ». Les pratiques d’écriture inclusive sont en constante évolution.

Cependant, le point médian a encore du mal à trouver sa place dans les rédactions. L’utilisation dans les médias en Fédération Wallonie-Bruxelles est très rare, notamment en raison de l’opposition d’une partie du public. Si l’on pointe du doigt la difficulté de lecture qu’entraîne le point médian, certains linguistes affirment toutefois qu’à force de voir cette nouvelle graphie, les lecteur·rice·s s’y habitueront. » Mais l’écriture inclusive ne se résume pas qu’au point médian.

Comment appliquer l’écriture inclusive ?

  • Féminiser les noms de métier, fonction, grade ou titre (voir le guide de féminisation des métiers et fonctions, par la Fédération Wallonie-Bruxelles)
  • Employer des termes épicènes ou des expressions englobantes neutres (« des élèves » plutôt que « des étudiants »)
  • Utiliser la double flexion en citant les deux genres, dans l’ordre alphabétique par exemple (« les étudiantes et les étudiants », « les chercheurs et les chercheuses », etc.)
  • Employer le pluriel de majorité (parler « des infirmières » car elles représentent plus de 80% de la profession)
  • Appliquer l’accord de proximité (« Un homme et une femme ont été interviewées »)